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La Cour Constitutionnelle et la publication des règlements provinciaux sur internet

    Arrêt du 12 novembre 2020

    La cour est saisie de trois questions préjudicielles posées par le Tribunal de Première instance de Luxembourg, division Marche-en-Famenne :
    1. L’article L22132 du Code de la démocratie locale et de la décentralisation viole-t-il les articles 10 et 11 de la Constitution en ce qu’il impose aux provinces de publier leurs actes sur leur site internet afin de rendre ces derniers opposables, là où l’articleL11332 du même code prévoit que les actes des communes sont opposables, même sans avoir été publiés sur leur site internet, après affichage et annotation dans un registre ad hoc?
    2. L’article L22132 du Code de la démocratie locale et de la décentralisation interprété comme imposant aux provinces de se ménager la preuve de la date de la publication en ligne du règlementtaxe viole-t-il les articles10 et 11 de la Constitution, en ce qu’il
      impose a
      ux provinces une obligation non prévue pour les autres normes publiées à la fois dans un recueil et sur internet?

    3. L’article L22132 du Code de la démocratie locale et de la décentralisation interprété comme imposant aux provinces de se ménager la preuve de la date de la
      publication en ligne
      du règlementtaxe, sans toutefois prévoir luimême ni déléguer
      au gouvernement, la
      compétence de définir les modalités pratiques permettant à la province de se ménager la preuve de la mise en ligne du règlement sur son site
      internet, viole
      -t-il les articles10 et 11 de la Constitution ?

     

    Il faut rappeler que le Code de la démocratie locale et de la décentralisation (CDLD) contient la règle prévue par l’article 190 de la Constitution, selon lequel « Aucune loi, aucun arrêté ou règlement d’administration générale, provinciale ou communale, n’est obligatoire qu’après avoir été publié dans la forme déterminée par la loi« .

     

    Cette forme est détaillée par l’article L2213-2 CDLD : « Les règlements et les ordonnances du conseil ou du collège provincial sont publiés en leur nom, signés par leur président respectif et contresignés par le directeur général.Ces règlements et ordonnances sont publiés par la voie du Bulletin provincial de la province et
    par la mise en ligne sur le site internet de la province« .

     

    Au niveau communal, les obligations sont différentes, d’où les questions posées par le Tribunal à la Cour.

     

    La Cour procède à l’examen des travaux préparatoires du Code de la démocratie locale et de la décentralisation qui, à l’origine, est une codification de l’existant (la « nouvelle loi communale ») et relève que :

     

    «La publicité des décisions et des actes de la province est accrue, particulièrement par l’intégration, comme mode de publication obligatoire de ses actes, de la mise en ligne sur le site officiel de la province. Ce nouveau mode de communication vient s’ajouter, et non se substituer, aux modalités d’affichage et de publication sur support écrit préexistantes» (Doc. parl., Parlement wallon, 2003-2004, n°613/1, p.3).

     

    Voilà ce que l’on peut relever dans la motivation de l’arrêt :

     

    B.4.Les dispositions précitées font naître une différence de traitement entre le mode
    de publication applicable aux actes des communes et le mode de publication
    applicable aux actes des provinces.

     

    B.5.2. Compte tenu de ce que la publication est une condition essentielle de la force obligatoire des textes officiels, la faculté pour chaque personne d’en prendre connaissance en tout temps est, comme la Cour l’a déjà jugé par son arrêt n°106/2004 du 16juin 2004, un droit inhérent à l’État de droit, puisque c’est cette connaissance qui permet à chacun de s’y conformer.

     

    B.5.3. La différence de traitement entre le mode de publication des règlements et
    ordonnances des communes et le mode de publication des règlements et ordonnances des provinces repose sur un critère objectif: même si les unes et les autres sont des collectivités politiques territoriales qui sont investies par la Constitution de responsabilités autonomes, il résulte de cette autonomie, de la
    diversité en ce qui concerne l’ampleur de leurs compétences territoriales et de
    la diversité de leurs attributions que le législateur décrétal a pu organiser des modes de publication différents pour leurs règlements et ordonnances respectifs.

     

    B.5.4. Il apparaît des travaux préparatoires que le législateur décrétal a souhaité renforcer la «publicité» des règlements et ordonnances des provinces,en ajoutant à l’obligation de publier ceux-ci dans le Bulletin provincial, l’obligation de les mettre en ligne. Le but recherché par la disposition en cause est légitime.

     

    B.5.5. La Cour doit toutefois examiner si le moyen choisi est pertinent et s’il est dans un rapport de proportionnalité avec le but visé.

     

    B.5.6. En l’espèce, en subordonnant le caractère obligatoire des règlements et ordonnances des provinces à un double mode de publication, le législateur décrétal a pris une mesure qui n’est pas pertinente par rapport à l’objectif de publicité recherché. La publication d’un acte en vue de le rendre obligatoire ne peut en
    effet pas être confondue avec le but, poursuivi, d’en renforcer la publicité, objectif auquel contribue la mise en ligne des règlements et ordonnances provinciaux.

     

    B.5.7. En outre, la mesure contenue dans la disposition en cause n’est pas proportionnée au but poursuivi par le législateur décrétal. En effet, en conditionnant la force obligatoire des règlements et ordonnances provinciaux à la double formalité de l’insertion dans le Bulletin provincial et de la mise en ligne, le législateur décrétal a pris le risque devoir publier deux versions différentes des mêmes règlements et ordonnances. Par ailleurs, en cas de hiatus entre le jour de la publication des règlements et ordonnances provinciaux dans le Bulletin provincial et le jour de leur mise en ligne, la double publication peut avoir une incidence sur la sécurité juridique qui doit être garantie à tous les destinataires de ces règlements et ordonnances.

     

    Personnellement, je ne suis pas d’accord avec ce raisonnement lorsque la Cour affirme que « le législateur décrétal a pris une mesure qui n’est pas pertinente par rapport à l’objectif de publicité recherché ».

     

    Je ne parviens pas à relever l’absence de pertinence de publication sur internet pour assurer une meilleure publicité.

     

    Par contre, là où je peux rejoindre la Cour, et c’est vraisemblablement une erreur de rédaction de l’arrêt, c’est en ce qui concerne le caractère obligatoire d’une norme provinciale.

     

    J’en déduis qu’en réalité la Cour voulait écrire « le législateur décrétal a pris une mesure qui n’est pas pertinente par rapport à l’objectif recherché de rendre un acte obligatoire « .

     

    Si la publicité est assurée plus largement par une publication web, la formalité de publication dans le Bulletin provincial établit avec certitude la date de publication dans ce Bulletin, afin qu’elle soit inaltérable, inamovible, bref aucune possibilité de fraude, d’oubli , etc.

     

    Je présume que les magistrats de la Cour constitutionnelle n’ont probablement aucune idée de comment publier un pdf sur un site internet. En quoi réside la difficulté de publier une norme sur le site internet au même moment que sa publication dans le Bulletin provincial, qui est d’ailleurs lui-même publié sur internet (voir par exemple https://www.brabantwallon.be/bw/publications-officielles-1/bulletins-provinciaux/).

     

    C’est également sur base d’un présupposé que la Cour affirme qu’il existe un risque de publier deux versions différentes, l’une sur internet et l’autre dans le Bulletin provincial. Agir de la sorte pourrait constituer un faux. La peur du Code pénal ne serait-elle pas suffisante aux yeux de la Cour ?

     

    La Cour juge donc que :

    B.5.8.Il résulte de ce qui précède que, dans la mesure où il impose, outre leur publication au Bulletin provincial, la publication en ligne des règlements et ordonnances des provinces comme une condition pour qu’ils aient force obligatoire, alors que le législateur décrétal entendait renforcer la «publicité» des textes officiels, l’articleL2213-3du CDLD est dénué de pertinence et disproportionné au but
    poursuivi par le législateur décrétal.

    B.6.L’articleL2213-3du CDLD n’est donc pas compatible avec les articles10 et 11 de la Constitution.

     

    Dernière question pour le lecteur : la solution aurait-elle été différente si la même obligation de publication sur internet reposait sur les communes (comme par exemple in Vlaanderen), ce qui était la comparaison initiale à laquelle le juge a quo se référait.

     

    La Cour n’indique pas que la norme est illégale en raison d’une différence de traitement, mais qu’elle est illégale car son but n’est pas pertinent, ce qui n’est bien évidemment pas la même chose.

     

    En ce qui concerne les deux autres questions, la Cour n’y répond pas puisque le constat d’illégalité auquel elle vient d’aboutir les rend irrelevantes.

     

    Benoît Derweduez